mercredi, décembre 14, 2005

Jour 8 : Douz (19 juillet 2005)

MAIL FROM : Shiva
Non, en fait, t'as raté ton avion et t'es restée à Paris et tu te fous de nous avec tes histoires hallucinantes et Steff (petit naïf qui croit que Claire Chazal est vraiment blonde) a tout gobé; mais on ne m'aura pas comme ça: après une semaine au Sénégal, je sais que tu serais rentrée dès le premier jour, après le ptit déj dans l'auberge au silence assourdissant; et même dès le coup du bus à 22h : tu n'es pas psychologiquement en condition pour nouer une quelconque amitié avec des scouts et encore moins avec Mike (le Canadien); tu n'as pas terminé ta formation Jedi et un petit Padawan ne tiendrait pas plus de 2 secondes ces épreuves incroyables. Alors, non!
Si t'es vraiment dans la suite de galères (que tu as tout de même l'air d'apprécier et de trouver marrant, petite maso) que j'imagine, sache que ce n'est pas bientôt fini et que ça va crescendo: rentre à la maison!!! Je te ferais des merguez et t'arnaquerais pour que tu te sentes pas dépaysée!
Non, en fait, amuse-toi bien on se fait chier comme des rats pourris à Paris, à Royan, bref partout où je suis (c'est moi qui fous la zone ou quoi? )
biz
Shiva

Le lendemain matin est plus gai. Réveillée la première, je discute avec Igor qui se révèle être un homme très intéressant : curieux de tout, il se cultive dans différents domaines et nous apprend beaucoup. Les autres finissent par se lever pendant que nous prenons notre petit déjeuner. Ma mauvaise humeur est passée, une nouvelle journée commence.
Je dois aller à l'hôtel Saharien Paradise pour remettre un guide au directeur de l'établissement ; je sais qu'il n'est pas là mais je tiens à lui remettre un exemplaire en remerciement de son hospitalité l'année précédente. Nous déjeunons sur place et profitons de leur jolie piscine pour barboter un peu. Je ne me mouille évidemment pas. Pas de maillot avant d'avoir un poids raisonnable, et c'est pas demain la veille.
Nous rentrons tôt car on a rendez-vous avec le directeur de l'hôtel où nous logeons : on part pour le désert, passer une nuit à la belle étoile! J'ai déjà fait ça l'an dernier, mais la balade à dos de dromadaire est une première et cette perspective me réjouit autant que mes petits camarade.
On part en 4x4 rejoindre ce qui est, littéralement, la porte du désert. Une grande arche, El Bab, surplombe la route qu'elle sépare sur sable sahélien. Enfin, nous y sommes! les dromadaires nous attendent ainsi que deux Bédouins, Taha et Mongi. je suis la dernière à monter car Mongi, un jeune Touareg aux yeux très clairs, insiste pour faire un cheich de mon paréo. Voir les quatre autres s'élever si haut dans les airs ne me rassure pas vraiment.
Je ne me rendais pas compte jusque-là qu'un chameau est nettement plus grand qu'un cheval, impensable de le monter debout.
Mais tout se passe bien, le camélidé se lève prestement et entame sa marche lancinante. Mon chameau est le chef de troupe, ce qui signifie que je suis devant les autres pendant tout le trajet. Malgré les tentatives de certains de mes congénères, il restera jusqu'au bout le guide du petit troupeau. J'aime cette position bien qu'elle ne me permette pas de voir mes amis : j'ai le désert à perte de vue et j'ouvre la route.
J'aimerais bien avoir quelqu'un à mes côtés mais c'est impossible, un groupe ne peut avoir qu'un meneur, sinon c'est une scission qui s'annonce. J'ai la sensation que cette règle de vie naturelle chez les chameaux n'est pas étrangère à notre mode de fonctionnement : des rapports donnés entre nous qui ne souffrent pas de transgression sous peine de voir chanceler l'équilibre du groupe. De toutes manières, j'ai l'impression que la confiance que tous me donnent m'a déjà mise à un rang que je n'ai pas sollicité et qui, bien que flatteur pour l'amour-propre, induit un mur entre eux et moi.
Ce n'est pas tant le fait que je sois la seule fille, car je crois bien qu'à ce niveau-là, ils me considérent comme l'un des leurs. Ni la différence de langue (l'anglais et le slovène sont les langues prédominantes entre nous et je n'ai pas les compétences linguistiques pour m'exprimer librement en anglais) qui, si elle m'isole plus encore, n'est pas le déclencheur de cet état de fait.
Je crois que c'est mon "statut professionnel", le fait que je sois déjà venue parcourir ce pays en profondeur. Avec le recul, la personne avec qui j'ai eu la relation la plus naturelle est Alech, qui n'a appris que je n'étais pas là en vacances la veille de son départ. Je sais que Jon y accorde une importance certaine et je ne sais pas si je dois la prendre en compte dans son attitude vis-à-vis de moi.
Nous avançons dans le désert et Mongi demande à Jon d'où nous venons ; étourdiment, celui-ci répond que nous nous sommes tous rencontrés en Tunisie. Il devrait pourtant savoir à présent qu'il ne doit pas me présenter comme une femme seule car cela signifie disponible ici. Je ne suis plus très rassurée maintenant, et effectivement le jeune Touareg commence à me parler, me questionner pendant toute une partie du trajet. Constatant enfin que mon arabe est très limité, il finit par retourner auprès de son ami.
Nous faisons une pause pour quelques instants où la descente de dromadaire se révèle particulièrement périlleuse. Mongi me rattrape dans ses bras, ce qui m'agace d'autant plus que je m'en sortais très bien sans lui, et nous pouvons enfin admirer le paysage. J'en profite pour annoncer à Matt que nous sommes officiellement mariés, chose que nous ébruitons assez largement tout le reste de la journée. Mais je passe la majorité de mon temps avec Jon et les guides ne sont pas dupes.
Le campement sous tentes bédouines est sympathique mais nous préférons dormir dehors, à la belle étoile. Matt met de la musique assez fort pour que tout le monde puisse en profiter et nous restons là, allongés sans rien dire. Je n'aime pas trop l'idée d'écouter de la musique quand on pourrait apprécier le silence sahélien, mais l'intention compte plus que l'acte. Nous sommes ensemble, partageant un moment unique dans notre expérience et pour moi ça vaut tous les silences du monde.